Figure emblématique de la lutte des indépendances africaines. Aujourd’hui, il est, plus que jamais, d’une nécessité de découvrir cette panafricaniste hors pairs qui a tenu tête à l’administration coloniale. Elle a résisté victorieusement contre la domination coloniale dans l’AOF, (Afrique Occidentale Française). Son parcours reste singulier, car elle était en avance sur son temps. Une vie entière de combat !
La première femme de cette série, Aoua Kéïta, militante anticoloniale, féministe engagée. Celle qui est aujourd’hui célébrée comme un mythe, a vu le jour en 1912 à Bamako, alors chef-lieu du Soudan français (actuel Mali). Elle est la fille de Karamoko Kéita, ancien militaire, originaire de Kouroussa (en Guinée Conakry) et de Mariam Coulibaly.
À l’âge de 11 ans, son père l’inscrit à l’école des filles « Pour complaire à l’administration qui avait du mal à recruter des élèves pour l’école de filles locale ». Cela contre les protestations de sa mère qui ne voulait pas que sa fille aille à l’école des blancs. Elle fréquenta le foyer des métisses de Bamako, un établissement tenu par des instituteurs blancs, avant de rejoindre la prestigieuse école de médecine de l’AOF à Dakar en 1928 par un concours où elle obtint en 1931 un diplôme de sage-femme. Elle est devenue l’une des premières femmes d’Afrique noire à obtenir ce diplôme.
C’est à Gao que débute sa riche carrière de sages-femmes, une ville située dans le septentrion malien dont elle ne connait pas la langue. Mais très rapidement, elle devient populaire et tisse avec les femmes locales. En 1951, elle est mutée au Sénégal, précisément à Ziguinchor dans la Casamance à la frontière bissau-guinéenne. Une affectation considérée comme une punition en raison de ses prises de positions contre la politique coloniale. En tant que sage-femme, elle a eu à servir dans plusieurs autres localités : Tougan, Kayes, Niono, Markala, Nara … Dans ses riches mémoires écrits en 1975, elle relate cet épisode de sa vie.
Engagement politique
Au début des années trente, aux côtés de son mari médecin auxiliaire, Daouda Diawara, elle s’inscrit au syndicat des médecins, pharmaciens et sages-femmes. Elle rejoint en 1947, Union Soudanaise, Rassemblement Démocratique Africain
(US-RDA), la section soudanaise du Rassemblement Démocratique Africain, un parti qui milite contre le colonialisme., crée en octobre 1946 à Bamako.
En 1949, elle connait des problèmes personnels, elle divorce de son mariage : « Le manque d’estime de ma belle-mère se transforma en une véritable animosité dès qu’elle apprit mon incapacité d’avoir des enfants à la suite de ma dernière opération chirurgicale en septembre 1945. Mais ce qui rendit ma belle-mère furieuse par désespoir, ce fut l’attitude de mon mari. Il refusa en effet de prendre une deuxième épouse. Toute la famille m’imputa ce refus qui cependant était indépendant de ma volonté […] Tu peux prendre ta liberté. A partir d’aujourd’hui, je ne t’aime plus. […] Ta position est tout à fait juste, on peut remplacer une épouse et non une maman. J’accepte ma nouvelle situation avec courage et persévérance », raconte-elle dans son autobiographie.
En juin 1951, à Gao, elle joue un rôle majeur dans la victoire de US-RDA lors des élections législatives nonobstant qu’elle était surveillée par le commandant de cercle de Gao. Elle consacre plusieurs paragraphes de son livre à décrire cet épisode électoral : « le dimanche, 17 juin 1951, le jour j, arrivée à mon logement qui se trouvait à deux pas de la maternité, j’ai changé ma blouse contre une robe blanche. Et j’ai pris mon petit déjeuner en moins de cinq minutes. Munie de la procuration du président Mamadou Konaté et d’une permission d’absence dument signée par mon chef direct, le directeur Roussillon, médecin chef de l’assistance médicale indigène de Gao, je me présentais au bureau à 7h15. Dès que le président et les secrétaires furent installés, je fus la première à placer mon bulletin dans l’urne. Or d’après la loi électorale en vigueur à l’époque, les quatre premiers votants coiffés par un président désigné par les autorités pouvaient constituer le bureau. Comme tous les responsables de notre parti, je connaissais le contenu essentiel de cette loi. Ainsi, non seulement je représentais mon parti, mais je fus également membre de l’équipe chargée de veiller au déroulement normal des scrutins dans le bureau numéro un », relate-elle dans son autobiographie. Elle est dès lors perçue comme une menace pour les Blancs, elle est mutée ailleurs. Cela n’ébranle pas son engagement, elle continue de mettre la pression sur l’administration coloniale.
Militante politique à la dimension des Modibo Keita et Mamadou Konaté, syndicaliste au temps des décolonisations, la trajectoire de cette femme est exceptionnelle. En 1958, elle devient la première femme à être membre du bureau politique de l’US-RDA, avant de devenir la première députée de la Fédération du Mali en 1559. Avec l’accession du Mali à la souveraineté, elle entre à l’Assemblée Nationale en tant que députée, et la restera jusqu’au coup d’État de 1968, date à laquelle, elle prend ses distantes vis-à-vis de la politique.
Femme de Lettres…
La sage-femme est également autrice d’une autobiographie fascinante qui relate dans une langue sublime ses multiples vies : de militante politique, de sage-femme et de féministe. Femmes d’Afrique : La vie d’Aoua Keita racontée par elle-même est une des œuvres majeures de la littérature féminine africaine, publié en 1975 aux éditions Présence Africaine, elle reçoit l’année suivante la plus grande distinction de la littérature francophone africaine, le grand prix d’Afrique Noire.
« Lors de ma prise de conscience, vers l’âge de six – sept ans, Bamako était une petite ville de huit mille habitants à peine. Elle était limitée à l’est par Bozola, Niarela, Clocotolougou (case du célibataire au sens péjoratif) actuelle limite de l’IOTA et de l’Hôpital Gabriel-Toure ; au nord par la gare, la cite des cheminots, le dépôt ; à l’ouest par les rails qui partaient du dépôt au fleuve, actuelle avenue de l’Indépendance ; et au sud par les champs de cultures et une forêt de fromagers qui séparaient Bamako-Coura et le fleuve Niger. Mon père, originaire de Kouroussa en Guinée, après avoir servi dans l’armée française, s’installa au Soudan avec une petite pension », Un extrait de Femmes d’Afrique
Aujourd’hui, Aoua Keita est célébrée par l’élite malienne, mais cela ne suffit pas. Son engagement pour la dignité des peuples doit être inclus dans nos manuels scolaires pour que les jeunes générations s’en inspirent.
La rédaction horontv.ml