La société Énergie du Mali (EDM) se trouve au cœur d’une controverse financière et technique, malgré un investissement colossal de l’État malien s’élevant à plus de 200 milliards de FCFA depuis 2021. Cet article détaille l’utilisation de ces fonds, les procédés d’acquisition controversés de matériel auprès de la société Case Construction, et les répercussions administratives et judiciaires qui en découlent.
Depuis 2021, l’État malien, avec l’appui de partenaires internationaux, a injecté des fonds considérables dans EDM pour augmenter sa capacité de production face à une demande énergétique croissante. Ces investissements incluent l’installation de générateurs de 50 mégawatts, faisant partie d’un projet global de 180 mégawatts répartis entre différents sites stratégiques de Bamako. Financé par le groupe BDK à hauteur de près de 35 millions de dollars, soit 21 milliards de FCFA, ce projet est partiellement réalisé avec les 50 mégawatts opérationnels à Kati. Le groupe BDK vend cette production à Énergie du Mali au prix du mégawatt consommé. Actuellement, il est dû plus de 7 milliards de FCFA à EDM, selon un responsable du groupe qui a souhaité rester anonyme. La centrale thermique de Sirakoro, financée à hauteur de 100 milliards de FCFA par la banque islamique, était achevée à 98% en mars, avec quatre des huit groupes en fonction. Un autre financement de 45 milliards a été alloué via la Banque ouest-africaine de développement pour le programme d’investissement 2022-2026. En 2021, cette même banque avait contribué à hauteur de 8,5 milliards FCFA pour renforcer le réseau électrique.
Acquisition controversée de groupes électrogènes
L’achat de 27 groupes électrogènes de Case Construction et de 4 turbines de Malian Engine Renting (MER) pour plus de 31 milliards de FCFA s’est effectué sans appel d’offres public, soulevant des questions sur la transparence des procédures. Les premières livraisons ont révélé d’importantes défaillances techniques, mettant en lumière des problèmes de fiabilité et de sécurité. Case Construction a livré 13 groupes non-conformes, répartis dans diverses localités. Voici le bilan technique de ces groupes :
– La puissance varie de 850 KVA à 450 KVA.
– Seuls deux groupes sur treize atteignent 50 % de leur capacité maximale.
– Quatre groupes ont présenté des problèmes graves après quelques mois, incluant des infiltrations de gasoil dans l’huile, l’émission de fumée noire excessive, des ruptures de courroie de ventilateur et des défauts de pression d’huile.
Il est noté que le contrat initial, prévoyant achat, installation, mise en service et maintenance, a été complété par quatre contrats additionnels d’une valeur de 1 595 037 860 FCFA pour des services annexes, signés par l’ancien directeur général d’Énergie du Mali, Koureissi KONARÉ.
Quel est l’état des paiements à Case Construction ?
Selon le contrat, Case Construction devait livrer 27 groupes électrogènes à Énergie du Mali. Après une première livraison non-conforme de 13 groupes, une seconde livraison de 10 groupes et de 2 transformateurs a été effectuée pour un montant total de 2 224 000 000 FCFA. Le directeur général de Case Construction, Adama SANOGO, a reçu 2 037 540 480 FCFA, correspondant à l’avance sur le contrat initial et à un paiement partiel pour la seconde commande. À ce jour, c’est EDM qui est redevable envers Adama SANOGO.
Il est important de mentionner que c’est le Président de la transition qui a présidé la réunion accordant l’attribution de ce marché, une réunion clef rassemblant des cadres de l’EDM et le Président de la transition qui est décisive pour toute décision importante de la société EDM.
Répercussions administratives et judiciaires des acquisitions suspectes chez EDM
À la suite d’acquisitions jugées douteuses, une enquête a mené à l’interpellation d’un ancien ministre de l’Énergie ainsi que de plusieurs cadres d’EDM. En tout, une dizaine de personnes sont impliquées dans l’attribution controversée d’un marché de 27 groupes électrogènes par Case Construction. Le directeur général d’EDM, Koureissi KONARÉ, est impliqué pour avoir signé un contrat de 6 milliards portant sur l’acquisition, l’installation et la maintenance de ces groupes, outre quatre contrats annexes d’un montant de 1 595 037 860 FCFA, dédiés exclusivement aux mêmes tâches connexes. Une dizaine de personnes ont été inculpés pour « atteinte aux biens publics ». Le ministre de l’Énergie et de l’Eau a été placé sous mandat de dépôt après avoir été interpellé le 14 janvier par la Brigade du pôle économique et financier de Bamako, deux jours auparavant, et gardé à vue jusqu’au 16 janvier 2024, avec d’autres cadres d’EDM. Le 20 janvier, compte tenu de son ancien statut ministériel, il a été entendu par le président de la chambre d’instruction civile et finalement placé sous mandat de dépôt le 22 janvier 2024, accusé de porter préjudice aux intérêts de l’État. En tant que ministre lors de l’attribution des marchés pour les groupes électrogènes, il avait transféré le contrat initial à son homologue de l’Économie et des Finances pour exécution, omettant le cahier des charges techniques qui aurait permis à l’État d’économiser un milliard et demi de francs CFA, somme par la suite injectée dans d’autres contrats annexes. Selon l’un de ses avocats, « Il n’intervient pas dans le processus d’achat de EDM-SA, qui se déroule conformément à leur manuel, et dont le niveau d’approbation le plus élevé est le conseil d’administration (CA). »
Dans la nuit du 22 au 23 janvier 2024, de nombreux cadres ont été incarcérés, dont les anciens DG d’EDM, Oumar DIARRA et Koureissi KONARÉ ; Mamadou SIDIBÉ, ancien responsable du département des contrats et de la conformité chez EDM ; Ousmane TRAORÉ, ex-directeur de la production lors de la passation des marchés avec Case Construction ; l’actuelle responsable juridique d’EDM-SA ; Amina NIANE, secrétaire générale en charge du département juridique, de la communication, du contrôle des contrats et de la conformité chez EDM-SA ; et Boubacar DIALLO, actuel conseiller du DG, autrefois directeur administratif et financier d’EDM-SA.
Que sont devenus les fournisseurs d’EDM-SA incarcérés ?
Le même soir, on a appris que des fournisseurs d’EDM-SA et une cadre de la Direction générale des douanes avaient également été incarcérés. Les fournisseurs de carburants d’EDM-SA bénéficient d’une exonération fiscale pour les produits destinés à la société, ce qui leur permet d’importer aisément leurs hydrocarbures. Toutefois, cela les contraint à vendre exclusivement à l’Énergie du Mali. L’enquête interne a révélé des écarts importants dans la fourniture de carburants. Parmi les trois principaux fournisseurs d’EDM-SA, l’un a pu fournir les 315 000 litres de fuel manquants pendant l’enquête. Les directeurs des deux autres entreprises, « Lah et Fils » et la « Société Fatoumata BATHILY », ont été placés sous mandat de dépôt. « Lah et Fils » a livré 6 086 983 litres de gasoil sur les 19 989 000 litres dus à EDM et doit encore livrer 13 902 017 litres. La « Société Fatoumata BATHILY » n’a rien livré et doit 2 837 340 litres de gasoil à la date du 23 janvier 2024.
NB : Bien que ces litres de carburant n’aient pas encore été réglés par la société EDM, ils deviennent, en vertu de l’exonération fiscale, la propriété exclusive d’EDM-SA.
Cet état de fait a conduit à l’interpellation et à l’arrestation de Saran Diakité, cheffe du bureau des produits pétroliers à la Direction générale des douanes. Mme Diakité était chargée de veiller à ce que ces carburants importés en franchise de taxes soient livrés à EDM-SA. Elle est aujourd’hui mise en accusation pour ne pas avoir garanti que ces hydrocarbures appartenant aux sociétés « Lah et Fils » et « Société Fatoumata Bathily », représentant près de 17 mille litres de gasoil, profitent à l’État par le paiement des taxes correspondantes.
Bilan de l’investissement
En dépit d’un apport financier supérieur à 200 milliards de FCFA dans EDM-SA, l’entreprise ne réussit pas à assurer une alimentation électrique stable et régulière. De surcroît, le manque de transparence est flagrant concernant les 106 milliards de subventions mentionnés par l’actuel ministre de l’Énergie, ainsi que concernant les contrats conclus avec Case Construction et MER. La société produit à perte, d’après les dires de la ministre de l’EDM. « Les recettes mensuelles d’EDM sont estimées à 20 milliards. Rien que pour les fournisseurs de carburants, le paiement s’élève à 18 milliards, et les salaires à deux milliards », a-t-elle déclaré lors de son intervention sur la chaîne de télévision nationale du Mali, le 24 octobre 2023. Elle a ajouté que cela ne prend pas en compte les autres charges opérationnelles d’EDM. Par ailleurs, la ministre de l’Énergie et de l’Eau a souligné qu’EDM doit faire face à « plus de 800 fournisseurs et une dette qui s’élève à plus de 600 milliards », ce qu’elle déplore.
Rappelons que l’investissement considérable dans EDM soulève des préoccupations majeures quant à la gestion des fonds publics et à la gouvernance des entreprises publiques au Mali. Il met en exergue le besoin impérieux de davantage de transparence et de renforcement des mécanismes de contrôle des marchés publics pour garantir que les investissements profitent réellement à la population malienne. En outre, EDM pourrait améliorer sa productivité en se tournant vers les énergies renouvelables, y compris l’hydraulique, pour répondre à la demande croissante d’électricité d’une population estimée à 23 millions d’habitants.
MK – AD