Homme d’État, Ibrahim Boubacar Keita fut la seule personnalité du Mali qui a piloté trois institutions de la République du Mali. Chef du gouvernement de 1994 à 2000, Président de l’Assemblée Nationale de 2002 à 2007, et Président de la République entre 2013 et 2020.
Face à une situation politique très tendue à l’époque, le président Alpha Oumar Konaré fait appel à celui qui est considéré comme un homme à poigne, pour assoir son pouvoir.
Pendant six ans, il conduit l’action gouvernementale avec une main de fer, qui fera de lui un homme de principe intransigeant. Sa loyauté lui a valu la promotion d’être le président du parti majoritaire. Mécontent de certaines décisions du parti, il claque la porte pour créer sa propre formation politique avec ses fidèles en 2001.
Après avoir tenté sa chance sans succès à la présidentielle de 2002, face à des adversaires de taille, le candidat du parti des tisserands, se console par la présidence de la 3ème législature de l’Assemblée Nationale. Cela fait suite à sa qualité qui lui a permis de réunir plusieurs hommes politiques autour d’un regroupement politique Espoir 2002.
En dépit de son premier échec, il essaie derechef de briguer la magistrature suprême en 2007, mais battu par le président sortant Amadou Toumani Touré élu dès le premier tour. Alors moment de tempête pour Ibrahim Boubacar Keita, son parti perd plusieurs sièges à l’Hémicycle de Bagadadji, et lui son perchoir devenant simple député dans la troisième institution de la République.
Suite aux évènements de 2012, qui ont conduit au soulèvement de l’armée mettant fin au règne du général ATT, tous les regards se dirigent vers le père de Karim Keita comme étant la « Solution » de la crise multidimensionnelle qui sévit au Mali. Avec son fameux slogan « Le Mali d’abord », il est plébiscité à la présidentielle d’aout 2013.
Connu pour sa fermeté, mais sa gestion n’a pourtant pas été à hauteur des attendes des Maliens. Néanmoins, il parvint à se faire réélire à la présidentielle de 2018 à l’issue d’un scrutin largement contesté. Le terrorisme s’accroit, la situation sécuritaire se dégrade, avec un front social en ébullition, la pandémie de Covid19 s’ajoute. Mais, ce sont les législatives controversées de 2020, qui font déborder le vase. Une situation qui enflamme un mouvement de contestation.
Après plusieurs mois de manifestations, soldées parfois par des violences, le 18 août 2020, le président démocratiquement élu est contraint à la démission suite à l’intervention des jeunes officiers de l’armée qui dirigent depuis lors le pays.
Bénéficiant son statut d’ancien président de la République, il s’éloigne de la vie publique passant la plupart de son temps dans sa résidence à Sébénicoro. L’état de santé de l’homme se dégrade, en plus du poids de l’âge et de la nostalgie, Ibrahim Boubacar Keita, cet homme qui a marqué l’histoire politique de ces 30 dernières années menait une vie discrète jusqu’à ce jour du 16 janvier 2022 où il est décédé à l’âge de 76 ans, 11 mois et quelques jours.
Son amour pour son pays est unanimement exprimé par ses proches, collaborateurs, amis, connaissances et même par ses adversaires politiques. Très avenant et ouvert, extrêmement humain et sensible. Tel était Ibrahim Boubacar Keita. Brillant d’élève du lycée Askia Mohamed de Bamako, l’ancien sorbonnard avait auparavant fréquenté le prestigieux lycée Janson de Saillly à Paris en France.
IBK est aussi diplômé de l’Institut d’histoire des relations Internationales contemporaines, et titulaire d’une maitrise d’études approfondies en politique. Le français, langue de Molière mais aussi d’Ibrahim Boubacar Keita, il sut la manier d’une façon sublime. Il n’hésita pas à rectifier le lapsus de ses interlocuteurs.
En effet, il parlait un français savant de nos jours très rares à l’oral. Traducteur de Lucrèce, son érudition était impressionnante : des rappels historiques et des références littéraires châtiaient ses allocutions. Une langue très poétique, en voilà une parfaite illustration lors de sa visite à Ogassagou suite aux atrocités survenues dans cette localité en mars 2019.
« Je reviens d’ogossagou, mais je voudrais et je n’ai même pas le choix, garder la tête froide comme un iceberg, mais le cœur volcanique, plus chaud que le volcan…ô quel redoutable honneur ! Comment voudriez-vous que, désormais, je fisse un visage avenant face à mes collègues, au nom de mon pays, en lequel une telle atrocité a été possible », avait-il prononcé.
Avec sa disparition, la célèbre phrase d’Amadou Hampaté Ba prend tout son sens : une bibliothèque s’est brulée avec son immense trésor.
Dors en paix Kankélétigui !
Hommage de la Rédaction Horontv.ml